Ancienne médina de Casablanca

Il faut s’imaginer un vieux poste radio à la voix enrouée, posée sur l’étagère brinquebalante d’une échoppe, et qui psalmodie des versets coraniques. Le ciel encore assoupi rougeoie des premières lueurs du jour. Il est 5h, la médina s’étire de tout son long et Casa s’éveille.

Les premiers commerçants ouvrent boutique, achalandent, dépoussièrent. Ici et là déambulent une charrette ou un âne chargé de marchandises, au loin les artères principales de la ville commencent déjà à vrombir des bruits de moteur. Les vendeurs ambulants retrouvent leurs emplacements.

Dans quelques heures, le bazar grouillera de monde, d’une foule bigarrée composée de chalands, de promeneurs, de touristes, d’habitants de la médina, de colporteurs, de chats errants attirés par l’odeur de poisson grillé s’échappant des gargotières.

D’Anfa à la médina

Sise entre les boulevards des Almohades et de Sour Jdid, le mythique café maure La Sqala et le légendaire Rick’s Café, on accède généralement à la médina depuis Bab Marrakech, « la porte de Marrakech. Cœur historique de Casablanca, elle aurait été construite entre 900 et 1 500, et correspondrait d’après les écrits les plus anciens à l’originelle Anfa. Sans que l’on ne puisse donc dater avec précision la naissance de la médina, il est attesté que Casablanca, et la médina, furent partiellement détruites par le tremblement de terre de Lisbonne de novembre 1755. Le Sultan Sidi Mohammed Ben Abdallah décide alors de reconstruire la ville en 1770, et la nomme « Dar El-Beïda », la Maison Blanche.

Les secrets de "Dar EL-Beïda"

L’on croit souvent, et abusivement, que « Dar El-Beïda » est la traduction du portugais « Casa Blanca ». C’est exactement l’inverse ! L’origine de ce nom réside au XIVe siècle où une légende raconte que le sanctuaire Sidi Allal Kairouani, un marin venu de Kairouan, en Tunisie, situé à l’entrée de la médina, portait le nom de Maison Blanche. Il a été construit par le Sultan Sidi Mohammed Ben Abdallah en hommage à Sidi Allal Kairouani, saint patron des pêcheurs et saint homme réputé pour sa sagesse et sa piété. Le sanctuaire aurait porté le nom « Dar El-Beïda » en l’honneur de sa défunte fille, Lalla Beïda, morte noyée en venant rejoindre son père, et dont on vantait la blancheur immaculée de son visage.

Comme des allures de Méditerranée

Plus récente que les autres médinas des villes impériales suite aux travaux de reconstruction qui ont suivi le tremblement de terre, elle diffère également par son architecture mélangeant les styles arabo-mauresque et colonial. A certains égards, l’ancienne médina de Casablanca ferait songer aux villes méditerranéennes, avec son dédale de venelles, ses façades blanches, ses balcons en fer forgé, ses arcades mauresques, moulures et grandes baies, ses zelliges et patios andalous.

Une répartition sociologique par quartier

Au moment de sa reconstruction, l’ancienne médina se dote de remparts hauts de 6 à 8 mètres, autour d’un périmètre de 4 kilomètres. Ces derniers sont percés de 8 portes, dont la plus connue reste Bab Marrakech, mais également Bal El-Kebir ou Bab El-Marsa. A l’intérieur, elle se divise en 3 quartiers en fonction de la classe sociale ou de la confession. Le quartier de la « médina », à proprement parler, où se trouvait la résidence du Caïd ou Dar El-Mekhzan, les consulats, les principaux marchés, mosquées et sanctuaires. Y ont élu domicile la bourgeoisie marocaine, aussi bien musulmane que juive et une petite communauté européenne d'expatriés. Et enfin le "tnaker", quartier populaire musulman.

Le brassage des cultures au fil des siècles

Des populations juives et berbères venus des montagnes, des paysans des plaines et du sud marocain, migrent vers l’ancienne médina au début du XVIIIe siècle. Viennent également s’y établir des commerçants des grandes villes du royaume, des diplomates et plus largement des européens. Il en résulte un harmonieux mélange culturel, spirituel, des influences réciproques et des liens fraternels entre les communautés. Aujourd’hui, le cosmopolitisme qui caractérise l’ancienne médina, porte toujours en lui les traces d’une cohabitation pacifique et heureuse. Des populations subsahariennes ont rejoint ce cœur battant de la vieille ville, et l’un des marchés de la médina porte le nom de « Little Dakar », et tient lieu de comptoir qui vend des produits venus de toute l’Afrique.

Un patrimoine en danger

L’époque du Protectorat français est synonyme de croissance économique, démographique et urbaine et très vite les populations européennes mais aussi la bourgeoisie autochtone, quittent la médina, lui préférant les nouveaux quartiers coloniaux. Cet exode entraîne une paupérisation progressive de la médina qui se voit délaissée par les classes sociales fortunées, bien qu’elle attire encore aujourd’hui beaucoup de touristes. Désormais sa population, issue de classes sociales majoritairement modestes, n’a pas les moyens d’entretenir ce patrimoine qui peu à peu tombe en désuétude. Des projets visent toutefois à la réhabilitation de cet héritage historique à la valeur inestimable.

Plaisirs des sens

Après avoir flâné au gré du vent, parcouru les ruelles du mellah, contemplé les fortifications côté Sqala, adressé une prière à Sidi Allal Kairouani et Sidi Bou Smara, musardé dans l’enfilade de bazars qui longent l’extérieur des remparts, peut-être succombé à un produit de l’artisanat marocain ou une djellaba, le promeneur appréciera une pause gourmande à l’entrée de la médina, sur la petite place où les vendeurs ambulants s’agglutinent. On se régalera d’un bol d’escargots cuits dans un bouillon épicé servi brûlant. Le ciel commence à s’empourprer. La médina éclairée vibre encore d’une agitation humaine, tandis qu’une mélopée langoureuse et solennelle d’Oum Kalthoum s’élève en volute vers le firmament.

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